Le cinéma russe, entre contes de fées et propagande : le regard d’un cinéaste ukrainien

Depuis l’invasion de l’Ukraine, le cinéma russe a connu une transformation profonde, oscillant entre un refuge dans les contes de fées et une machine de propagande étatique. Ce phénomène soulève des questions cruciales sur la liberté artistique, l’identité culturelle, et la manière dont le septième art reflète ou déforme la réalité sociale et politique. Alexandre Rodnyansky, cinéaste ukrainien au parcours établi dans le paysage cinématographique russe, offre un éclairage singulier sur ces mutations. Sa critique des productions contemporaines russes, dominées par les contes adaptés en blockbusters familiaux financés par l’État, contraste avec son engagement à raconter une histoire plus authentique et humaine, marquée par la guerre et ses déchirures.

Les grandes tendances du cinéma russe contemporain : contes et censure

Le cinéma russe, autrefois un espace d’expression pluriel animé par des studios prestigieux tels que Mosfilm et Lenfilm, présente désormais une orientation marquée par la mise en scène répétée de contes et de récits enfantins. Cette tendance n’est pas anodine et traduit une stratégie culturelle de mise à l’écart des représentations sociales et politiques conflictuelles.

La popularité des adaptations de contes, notamment des œuvres classiques du folklore russe et de la littérature enfantine, comme en témoigne le succès colossal de Cheburashka en 2023 (recettes supérieures à 6,5 milliards de roubles au box-office national), s’impose comme un refuge créatif dans un environnement où la production de films dits de « drame social » devient quasiment impossible.

Voici les raisons principales de ce virage vers le conte :

  • Pressions étatiques : La seule source de financement désormais provient en grande partie du Goskino, l’organisme d’État. Tout film abordant le conflit ukrainien ou les réalités de la guerre doit impérativement s’adapter à la ligne officielle.
  • Contrôle idéologique strict : Les scénarios doivent souvent véhiculer des messages pro-Kremlin, dépeignant l’armée russe comme libératrice et stigmatisant les Ukrainiens en ennemis fascistes.
  • Évitement des sujets sensibles : Pour échapper à la censure, les cinéastes et producteur·rice·s privilégient des histoires universelles, souvent extraites de la tradition orale, ou issues de la vaste bibliothèque de contes populaires russes.

Cette évolution stylistique montre aussi une mise à distance du public adulte, invitant plutôt à un retour aux fondamentaux narratifs, symboliques et moraux des récits pour enfants. Dans cette optique, des studios historiques d’animation comme Soyuzmultfilm, qui a longtemps rythmé l’enfance soviétique et russe, retrouvent une nouvelle jeunesse en proposant des œuvres au graphisme soigné et aux thèmes folkloriques rassurants.

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L’essor de ces productions familiales pose toutefois la question de la fonction même du cinéma dans la société russe actuelle. Est-il un simple divertissement déconnecté des réalités, ou bien un outil portant discrètement des valeurs ancrées dans une nostalgie idéalisée ?

Les impacts sur les principaux studios et institutions du cinéma russe

La fermeture progressive des marges créatives influence également des institutions symboliques comme l’Institut VGIK (le premier institut de cinéma au monde), dont la formation et la sensibilisation aux formes contemporaines doivent composer avec ce climat anxiogène.

Studios tels que le Dovjenko Film Studios ou le Cherkassy Film Studio voient leur rôle évoluer vers des productions plus conformes, dépourvues souvent de la richesse critique et de la diversité qui caractérisaient le cinéma russe des décennies précédentes.

  • Maintien de la production classique autour des contes et adaptations littéraires.
  • Diminution progressive des drames politiques ou sociaux reflétant la réalité contemporaine.
  • Renforcement des partenariats avec des studios plus proches des sphères gouvernementales, comme Artek Film Studio et Studio Paradjanov.

Cette mutation participe aussi à la tendance observée dans KinoPoisk, vaste plateforme de cinéma russe, où les listes des films les plus vus sont désormais dominées par les productions légères, éloignées des problématiques graves et réelles.

Filmographie engagée et documentaire : le choix d’Alexandre Rodnyansky

Au cœur de ce bouleversement du cinéma russe se trouve la trajectoire particulière d’Alexandre Rodnyansky, cinéaste ukrainien qui a longtemps navigué avec succès dans les sphères du cinéma russe et international.

À l’origine, directeur d’un des plus grands conglomérats médiatiques russes, producteur de films marquants comme Leviathan et Loveless, Rodnyansky incarne une figure profondément engagée dans un cinéma à la fois artistique et social. Mais depuis le conflit et la conjoncture politique, il dénonce avec vigueur la dérive vers le cinéma-propagande et le traitement manichéen omniprésent.

Son œuvre récente, en particulier son documentaire Notes of a True Criminal, introduit un regard personnel et poignant sur :

  • Le coût humain du conflit ukrainien, à travers des images inédites de soldats et de familles.
  • La mémoire collective marquée par l’effondrement soviétique et les traumatismes historiques profonds.
  • La complexité des identités ukrainiennes façonnées par des générations aux expériences multiples.
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Ce film, financé sur un budget restreint et conçu loin des circuits officiels russes, propose une déconstruction des récits officiels. La démarche de Rodnyansky est un exemple concret d’une résistance culturelle par le cinéma, un témoignage frontal et sincère face à la propagande.

Une rupture symbolique entre l’artiste et le système

Ironie supplémentaire, Rodnyansky a été condamné par un tribunal de Moscou à une peine d’emprisonnement pour avoir diffusé « de fausses informations », et déclaré « agent étranger » par le ministère russe de la justice. Ce traité judiciaire illustre le durcissement de l’appareil répressif vis-à-vis de tout voix dissidente dans la sphère culturelle.

Pour beaucoup de professionnels du cinéma, cette situation reflète une fracture profonde entre une génération attachée à une tradition humaniste du cinéma russe et un pouvoir qui instrumentalise l’image et la narration au service d’une idéologie nationaliste. Rodnyansky lui-même évoque une nostalgie ambivalente pour la culture russe tout en affirmant sa fidélité à ses racines ukrainiennes et son refus catégorique de la falsification politique.

  • Perte de lien avec certains amis du milieu artistique russe restés indifférents ou silencieux face à la guerre.
  • Éloignement forcé de la Russie pour des raisons sécuritaires et personnelles.
  • Refus d’associer la culture russe avec le soutien à l’agression militaire.

Les enjeux de la propagande d’État dans le cinéma russe actuel

Tandis que les contes et productions enfantines permettent d’apaiser ou de détourner les esprits, la propagande d’État occupe une place centrale dans la conception des films à thématique militaire ou patriotique. Ces productions, financées par le Goskino et parfois réalisées par des studios comme Mosfilm ou Lenfilm, s’inscrivent dans un effort systématique pour justifier et glorifier l’intervention militaire russe en Ukraine.

La propagande fonctionnelle au cinéma peut se décliner selon plusieurs axes majeurs :

  • Dénigrement de l’ennemi : les Ukrainiens y sont présentés comme des fascistes, nationalistes extrémistes responsables de la souffrance de la population du Donbas.
  • Héroïsation du soldat russe : la figure du libérateur est mise en avant pour galvaniser le patriotisme et affirmer une mission morale de la Russie.
  • Effacement des réalités complexes : toute nuance est bannie pour favoriser un récit manichéen, facteur de division morale et politique.

Ces films se retrouvent souvent soutenus par des campagnes de communication massives sur les réseaux sociaux, au sein même des universités comme au VGIK, et à travers des festivals dédiés au cinéma patriotique. Cet engagement institutionnel laisse peu de place aux contre-discours ou aux œuvres indépendantes, qui sont souvent marginalisées.

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Pour mieux comprendre ce système, un parcours historique rapide retrace la transformation du cinéma soviétique, notamment les fameux « cross-over » entre folklore et idéologie, vers cette instrumentalisation politique contemporaine. Les productions audiovisuelle de Studio Paradjanov ou des films plus anciens incarnent cette alliance complexe entre art populaire et propagande, source d’inspiration et de contrôle.

Les perspectives et résistances dans le cinéma russe et ukrainien

Face à ce constat, quelles alternatives existe-t-il pour réconcilier l’art cinématographique avec la liberté d’expression et la représentation fidèle des réalités ? L’exemple d’Alexandre Rodnyansky témoigne d’une voie possible : celle d’un cinéma à la fois enraciné dans la mémoire historique et ouvert à la pluralité des voix.

Plusieurs facteurs caractérisent les tentatives de contournement ou de résistance culturelle :

  • Films indépendants et documentaires qui témoignent des traumatismes et enjeux sociaux souvent occultés par la production mainstream.
  • Coopérations internationales permettant de financer et diffuser une image plus nuancée et honnête du conflit, au-delà des frontières russes.
  • Mobilisation des artistes et intellectuels russes et ukrainiens pour dénoncer la propagande et soutenir les victimes.

La question du boycott et de la séparation entre artistes engagés et complices du régime divise la sphère culturelle internationale. Certains appellent à exclure des figures associées aux discours favorables au Kremlin, tandis que d’autres plaident pour une distinction fine entre les personnes et les politiques qu’elles soutiennent, comme le souligne Rodnyansky en prenant l’exemple historique de la Seconde Guerre mondiale et des figures littéraires allemandes opposées au nazisme.

Enfin, la richesse des contes, que ce soit des adaptations russes revisitées à la lumière d’une tradition ancienne ou le travail méticuleux sur les figures symboliques dans les œuvres animées, peut constituer un espace de dialogue culturel. Pour comprendre cette dynamique, la consultation de ressources pédagogiques telles que l’origine et l’évolution des contes féeriques ou les contes de fées célèbres offre un éclairage précieux. De même, l’étude de villes évoquées dans des univers féeriques comme celles présentées dans les villes contes de fées au Texas invite à réfléchir sur les appropriations culturelles et la symbolique internationale des récits.